Sophie Djigo (sur l’accueil des migrants)

Présentation

Enseignante de philosophie menacée par l’extrême droite pour son travail sur les migrations avec ses élèves.

Vidéo de Sophie Djigo

Transcription Youtube (à retravailler)

Sophie gigot et philosophe spécialiste des questions migratoires et fondatrices du collectif migration 59 depuis plusieurs années dans le cadre du programme de sa classe préparatoire littéraire à Valenciennes elle emmène ses étudiants à Calais pour aborder les questions d’exil et de citoyenneté cette année cependant par mesure de sécurité se déplacement a été annulé par le rectorat car il a déclenché une vague de violence de l’extrême droite le qualifiant d’endoctrinement au service du Grand remplacement harcèlement intimidation cette violence est même allée jusqu’au menaces de mort envers l’enseignante ces attaques présentent une sérieuse menace sur la liberté d’enseigner [Applaudissements] bonjour à tous j’ai grandi en Lorraine en Moselle dans une région où la notion de frontières et poreuse plus la bile que sur d’autres territoires on pourrait se dire que justement c’est aux frontières que s’affirme le nationalisme le plus pur en particulier celle là objet dramatiser sacraliser objet de deuil de revanche de guerre rappelons-nous le slogan martelé il faut retrouver l’Alsace et la Moselle mais c’est tout le contraire c’est aux frontières qu’on apprend que les hommes sont tous les mêmes que les cultures et les langues s’hybrides que les appartenances nationales résulte d’un jeu de bingo politique la résistance avec un r majuscule j’ai découvert sur les bancs de l’école comme beaucoup d’entre nous c’est l’une des parties grandioses de notre histoire héroïque c’est du moins ce que je me disais en suivant les cours d’histoire-géographie et j’appartiens à une génération qui a connu les survivants qui ont fait la guerre qui l’ont subi qui ont résisté c’est l’une des questions que j’ai posées à mon grand-père mon grand-père n’a pas été résistant j’étais un peu déçu toutefois il avait été enrôlé au STO dans une usine allemande et une nuit il s’en est évadé à vélo jusqu’au petit village frontalier de Reyersviller un village au pied des forêts épaisses de conifères là où la terre est rouge il a trouvé refuge dans une maison on l’a caché au sous-sol jusqu’à la Libération et là il a épousé la jeune fille de la maison Marie qui est devenue ma grand-mère une histoire ordinaire pour l’époque comment hérite-t-on de ce passé mythique avec mon regard de philosophe je me suis fait plusieurs réflexions je les pose ici pour en venir ensuite à mon propre engagement et à la manière dont je peux le penser comme une forme de résistance d’abord je me suis demandé comment on devient résistant je veux pas dire dans quelles conditions historique pour quelle motivation etc mais quelles sont les distributeurs de légitimité d’une époque d’une société qui adoube les résistants qui décident que tel ou tel mouvement tel ou telle personne peuvent être qualifiées de résistants plutôt que de terroristes de casseurs de Black Bloc etc c’est la question de la légitimité de l’action résistance et je vois bien que si nous sommes réunis tous ici dans des journées comme celles-ci c’est bien pour concurrencer des autorités suspectes en matière de distribution de la légitimité ensuite je pense que la légitimité est une affaire d’échelle je me suis même demandé si parfois l’héroïsation des résistants n’était pas une stratégie du pouvoir pour écraser les velléités de résistance parce qu’à trop mythifier les figures de résistance on les éloigne de nous on s’interdit d’en faire partie ce serait présomptueux d’oser affirmer qu’on est un résistant ou une résistance et tous ceux qui se livrent à cet exercice sur le plateau des Glières le savent bien il y a un embarras à se dire résistant à se comparer à ceux qui ont lutté ici au péril de leur vie dans les années 40 et je crois fermement qu’il faut lever cette embarras et assumer cette filiation cet héritage ne pas se laisser écraser par l’héroïsation la résistance mais c’est une pratique ordinaire et c’est bien cela qui effrayent les gouvernants exceptionnaliser la résistance c’est l’affaiblir elle est d’autant plus forte qu’elle est banale quotidienne parfois anonyme une forme de mobilisation discrète la petite échelle donc qui est celle des petits pas du quotidien la petite échelle aussi qui est celle du local nous avons souvent le sentiment d’être impuissant en matière politique que les leviers nous échappent que les choses se jouent à l’échelle nationale européenne mondiale et cela nous fait oublier que le ressort fondamental de la politique c’est l’action citoyenne celle-ci ne se borne pas au vote elle inclut diverses formes d’action diverses formes de résistance quand des politiques ne sont pas menées en notre nom quand nous nous sentons exilés au sein de nos propres états nous pouvons basculer dans une opposition active la résistance certes les gouvernants ont le pouvoir mais nous citoyens nous avons la puissance il faut pas minimiser cette puissance d’action elle méprise la rhétorique politique de l’état d’urgence qui autorise tout parce qu’elle se déploie dans une temporalité longue une stratégie d’usure de SAP nous nous ne sommes pas soumis à des échéances électorales nous avons le temps nous sommes des puissances d’érosion du pouvoir je voudrais défendre une vision antihéroïque de la résistance des résistances minuscules j’ai été bibronnée à la lecture de Robert luzil qui a lui-même du s’exiler en Suisse face aux fascisme et qui disait ceci à propos de l’esprit du grimpeur qui veut atteindre les sommets le pied le plus sûr est toujours le plus bas je crois qu’il ne faut pas craindre l’humilité pas craindre d’officier au bas de l’échelle dans les larmes du pouvoir pas craindre non plus de porter des coups bas cette dernière leçon c’est une leçon du féminisme quand les suffragettes choisissaient le juge dessus plutôt que le noblart de la boxe pour une autodéfense plus efficace nous nous sommes les petites mains d’en bas qui résistent avec leur petit moyen et si la vulgarité de notre militance irrite les grands esprits et bien qu’à cela ne tienne je suis entrée en résistance par hasard et par nécessité le hasard qui m’a muté dans le Nord-Pas-de-Calais comme beaucoup de jeunes fonctionnaires à une autre frontière le hasard qui a fait que pendant 7 ans j’ai pris la ligne de TER Lille Calais pour aller enseigner à Saint-Omer c’est là que j’ai vu s’incarner ce qu’on appelle abstraitement le phénomène migratoire non pas des hordes de migrants au visage inquiétants ça jamais quelques dizaines d’exilés abordent des trains repérables à leurs chaussures crottées de la boue des camps jusqu’à ce qu’un jeune érythréen qui Brom me tend d’un paquet de chips au fond d’un hall de gare obscur à Hazebrouck chez moi en Lorraine Hazebrouck c’est le nom qu’on utilise pour dire Pétaouchnok qu’elle ne fût pas ma surprise de découvrir qu’il y avait réellement une commune qui s’appelait Hazebrouck jusqu’à ce qu’on m’invite dans la jungle de Calais puis celle de nos rencontres j’ai fait ce que ma mère m’a toujours appris ne pas détourner le regard ma mère qui m’a transmis son habitous de travailleur social cette idée qu’il ne faut pas être déconnectée du réel qu’il ne faut pas ignorer la misère la souffrance mais au contraire qu’on a le devoir de l’accueillir les yeux dans les yeux question dignité en philosophe percuté par la réalité de la condition migrante j’ai écrit un livre puis de puis trois consacrés aux questions migratoires l’écriture ça peut être une forme de résistance mais celle-là ne m’a pas suffi face à l’immédiateté de la situation des exilés à Calais il y a eu ce matin de novembre il avait neigé tôt cette année-là 2017 le coup de fil d’habit jeune migrant éthiopien expliquant que la police a raflé toutes les tentes toutes les couvertures Abby qui me dit qu’il va marcher toute la nuit pour ne pas mourir de froid et moi le lendemain matin qui roule vers Calais pour aller le récupérer et nous qui l’invitons à venir prendre un peu de répit à la maison je dis nous et c’est important parce que la résistance ne peut être que collective nous c’est d’abord ma famille happée par le réel par la nécessité au bout d’une semaine ils étaient cinq à camper dans le salon puis on a demandé à nos amis s’il pouvait accueillir leurs amis et le fil en aiguille nous avons créé le collectif migration 59 collectif de résistance citoyenne qui offre un accueil de répit aux exilés en transit bloqué à la frontière face à la violence d’État inouïe qui règne à Calais nous avons cherché un moyen de résister non violent solidaire et constructif un mode de résistance qui ne soit pas seulement négatif et réactif mais qui dessine aussi modestement les lignes de la société cosmopolite est plus juste à laquelle nous rêvons notre slogan est devenu accueillir c’est résister résister en ouvrant sa porte en offrant de la chaleur humaine de la considération un toit et je réalise aujourd’hui combien jérites non pas de l’évasion somme tout assez héroïque de mon grand-père mais de l’action anonyme et discrète de cette grand-mère que je n’ai jamais connue elle aussi a su accueillir dans la clandestinité même celui qui cherchait refuge aujourd’hui notre maison est devenue le refuge de centaines d’exilés fuyant l’oppression en Erythrée les massacres en Éthiopie la guerre du Darfour et du corps dauphin du Sud quand les exilés viennent chercher du répit auprès de migration ils disent qu’ils viennent pour les families la pratique d’hospitalité que nous avons développée relève pour eux d’une construction familiale de ce rêve d’une fraternité élargie d’une famille universelle c’est aussi une pratique intéressante dans un contexte où la violence d’État cible particulièrement les militants et tous les partisans de l’égalité et de la justice sociale parce que cette pratique déplace le terrain de lutte de l’espace public l’Agora traditionnellement réservé aux seuls hommes libres dans le monde grec à la Domus la sphère domestique privée espace dévolu aux femmes avec migration le privé devient politique en écho au fameux slogan féministe des années 70 les tâches subalternes dédiées aux femmes prépare une chambre cuisinée deviennent des gestes politiques des actes de résistance lorsqu’il s’adresse à des migrants clandestins un pied de nez aux politiques de fermeture et du Zéro migrant alors certes nous résistants sont minuscules et on peut regretter leurs caractères dérisoire mais je pense que c’est justement la bonne échelle parce que les gouvernants ne peuvent pour l’instant rien sert contre ses actions minuscules qui se déploient selon une logique de l’essence partout sur le territoire dans le Nord le Pas-de-Calais chez nos voisins belges à Paris à Nantes dans la Roya à Bayonne la liste est tellement longue absolument partout des citoyens accueillent ils font ce que les politiques pensent impossible ils vivent ensemble avec des étrangers il réalise ce que les politiques n’osent même pas imaginer ils rendent l’utopie ordinaire certes nos résistances sont humbles et discrètes mais pas tant que ça puisqu’il suffit d’une visite d’études organisée à Calais par un professeur avec ses étudiants d’hippocaques pour que les militants de reconquête se déchaînent pour que la fachosphère s’embrase force est de constater que notre seul présence à la puissance d’être insupportable pour les fascistes on peut au moins se targuer de cela et ce que j’ai compris quand le flot de haine est tombé dessus en novembre dernier c’est combien ils ont peur l’essence du fascisme je crois que c’est cela la peur donc il faut nous rappeler de quel côté et la peur ce n’est pas à nous de vivre dans la crainte ce sont eux qui ont peur de nous de nos idées de nos actions de nos modes de vie de la société que nous incarnons déjà parce que certes nous sommes infimes mais imaginez ce que serait le monde sans nous sans ces innombrables acteurs de la société civile engagée dans les luttes sociales dans l’autodécence des plus vulnérables dans les luttes écologiques etc etc en tant que philosophe et professeur de philosophie je comprends à quel point je suis à la bonne place à quel point mon simple métier d’enseignante et cruciale lorsqu’il s’agit de défendre la vérité contre les attaques et les renversements permanents des fascistes ils craignent les savoirs ils craignent les faits qui fragilisent leurs opinions fallacieuses amener des étudiants sur le terrain de la frontière a mis le feu aux poudres parce que le fascisme se nourrit du mythe et qu’il ne supporte pas la confrontation avec le réel j’ai conclurai ainsi en disant que pour moi la résistance c’est d’abord cela avoir le sens des réalités aller sur le terrain ne pas fermer les yeux bref être du côté du réel merci [Applaudissements]